Prospérité, minimalisme, à la façon de Terry Pratchett

Il y a quelques semaines, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt le billet de Simone de Bougeoir qui parle des excès de la « décroissance choisie », lorsqu’elle devient surtout une manie de nantis qui ont les moyens de jeter puis de racheter (c’est un résumé personnel et libre du billet, pour avoir la vraie version allez le lire…).

J’étais très contente de lire cet billet, parce que j’y ai retrouvé, en certainement mieux exprimé et plus fouillé, certaines de mes réticences à l’égard de cette mode de la frugalité matérielle.

Pour exprimer en résumé ma pensée: je trouve ça bien de moins consommer, en tout cas en tant que membre de la classe moyenne d’un pays riche, qui ne manque de rien et a plutôt tendance à être bombardée d’injonction à acheter des trucs. Mais moins consommer, textuellement,  ca veut dire acheter moins, et pas jeter des trucs qu’on a déjà achetés.

Ma grand-mère, celle de mon mari, et les parents de ce dernier, qui ont connu une vie bien moins à l’aise matériellement que nous, ne jettent justement presque rien, et gardent plein de choses dans leur garage, juste au cas où, pour être à l’abri du besoin. Ce comportement de fourmi donne des intérieurs super encombrés, à l’antithèse des magazine de déco, et je dois avouer que je trouve un peu étouffant de naviguer dans une pièce pleine à craquer de meubles surchargés de bric et de broc, mais d’un autre côté je comprends cette logique.

J’ai pas mal réfléchi l’automne dernier à cette question de vider ses placards de ce qu’on n’utilise pas et qui les encombre, et je n’adhère que partiellement à cette idée. Je suis pour faire un peu de tri, et jeter ou donner à recycler des affaires trop abimées, ou qui rappellent de mauvais souvenirs, etc. Je pense que ça permet effectivement de se libérer de trucs inutiles et qui nous encombrent. Par contre, si on a déjà 16 T-shirts (ou 42, peu importe) et qu’on les aime tous bien, ou qu’on suppose qu’on en utilisera à nouveau certains à un autre moment de notre vie, ou toute autre raison qui nous inspire plutôt de les laisser trainer peinards dans un coin de notre armoire, pourquoi se forcer à en éliminer certains? L’action qu’on peut considérer éventuellement comme consumériste et nocive pour l’environnement a déjà été commise le jour où on a acheté ces T-shirt, et les jeter n’y change rien. Mieux vaut les garder, et les utiliser peu à peu, ce qui évitera justement d’en racheter des nouveaux.

Tout ça, en ce qui me concerne, c’est surtout de la théorie. Je trouve ça très bien de moins acheter de fringues, surtout que mon placard en est plein, mais en pratique j’en achète encore régulièrement. Avec le temps qui passe je préfère acheter des trucs de bonne qualité qui vont durer longtemps, mais je pense que c’est surtout parce qu’avant, quand j’étais étudiante par exemple,  je n’avais pas assez d’argent pour avoir le choix, et que je suis contente de l’avoir maintenant.

En tout cas, ces réflexions m’ont rappelé un passage d’un bouquin de Terry Pratchett, qui est un de mes auteurs préférés: « Le guet des orfèvres ». Dans ce livre, le commissaire Sam Vimaire, issu d’un milieu très modeste, s’apprête à épouser Sybil Rambin, héritière d’une très ancienne, et très riche famille. Il confronte le mode de vie des très riches, qu’il a découvert par l’intermédiaire de sa future femme, et celui, plutôt modeste, qui a toujours été le sien. Bien qu’il s’agisse d’un univers totalement imaginaire, cela ressemble beaucoup à notre société:

« Tout petit, Sam Vimaire s’imaginait que les gens très riches mangeaient dans des assiettes d’or et habitaient des maisons de marbre. Il avait depuis découvert un fait nouveau: les très très riches pouvaient se permettre d’être pauvres. Sybil Ramkin vivait dans une pauvreté uniquement accessible aux grosses fortunes, une pauvreté qui s’aborde par l’autre versant. les femmes seulement aisées mettaient de l’argent de côté et s’achetaient des robes de soie bordées de dentelles et de perles, mais dame Ramkin, elle, était tellement riche qu’elle pouvait se permettre de circuler pesamment en grosses bottes de caoutchouc et en jupe de tweed héritée de sa mère. […] Les riches étaient riches, concluait Vimaire, parce qu’ils parvenaient à dépenser moins d’argent.

Tenez les bottes, par exemple. Il gagnait trente-huit piastres par mois plus les indemnités. Une très bonne paire de bottes en cuir coûtait cinquante piastres. Mais une paire abordable, du genre à tenir une saison ou deux avant de prendre autant l’eau qu’une éponge dès que le carton rendait l’âme, en coûtait à peu près dix. C’était ce modèle que Vimaire achetait et portait jusqu’à ce que la semelle devienne si fine qu’il arrivait à deviner dans quelle rue d’Ankh-Morpork il se trouvait par nuit de brume rien qu’au contact des pavés.

Mais ce qu’il faut dire, c’est que de bonnes bottes duraient des années et des années. L’acheteur en mesure de débourser cinquante piastres pour une paire de bottes gardait ses pieds au sec au moins dix ans, alors que le miséreux qui ne pouvait s’offrir que des bottes bon marché dépensait cent piastres dans le même laps de temps et se retrouvait quand même les pieds mouillés. »

Je n’arrive pas à faire de parallèle exact entre ce texte et la pseudo-aspiration à moins de trucs dans les placards, sauf qu’il s’agit pour moi essentiellement d’une affaire de riches. Riches par rapport à nos grands-parents, par rapport à la plupart des gens dans le monde… suffisamment riches pour consommer beaucoup d’énergie à réfléchir à l’encombrement de nos placards, au lieu de simplement chercher à vivre bien dans les limites de ses capacités économiques.

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